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Focus : Baby Doll, objet symphonique sans frontières

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Imaginé et mis en scène par Marie-Ève Signeyrole, Baby Doll bouleverse avec audace et poésie les codes du concert. L’emblématique 7e Symphonie de Beethoven y croise la route de jeunes femmes migrantes et du musicien Yom, au cœur d’un spectacle singulier qui se présente comme une aventure, et qui marie l’iconique et l’iconoclaste.

 

Une célébration de la danse

Comment fêter dignement le 250e anniversaire de la naissance de Beethoven ? Avec sa musique bien sûr, mais aussi en honorant les audaces et les fulgurances d’un compositeur qui aura toujours été politique en son temps. C’est ainsi qu’est née cette Baby Doll, où la 7e Symphonie se trouve embarquée dans un voyage inédit. « Chaque saison, l’Orchestre de chambre de Paris s’attache à construire un projet pluridisciplinaire autour d’une oeuvre iconique du répertoire, explique Chrysoline Dupont, directrice de la programmation. Cette année, dans le cadre de l’anniversaire Beethoven, nous nous sommes posé la question : “Que peut-on faire avec une symphonie de Beethoven aujourd’hui ? Comment lui offrir une profondeur de champ un peu différente ?” Nous voulions confier cette pièce à un artiste et lui laisser la liberté de s’en emparer totalement. Nous avons ainsi proposé à Marie-Ève Signeyrole de travailler autour de la 7e Symphonie, dont Beethoven disait qu’elle était une grande célébration de la danse. Il y a quelque chose de très cru, de très brut, de presque sauvage dans cette musique. La rencontre de ces deux personnalités promettait des moments forts. »

Issue du monde du cinéma, Marie-Ève Signeyrole s’est formée auprès des plus grands metteurs en scène internationaux : Peter Sellars, Krzysztof Warlikowski, Christoph Marthaler ou encore Emir Kusturica. À l’opéra, elle a apporté un souffle nouveau avec des propositions originales et engagées, qui lui valent aujourd’hui d’être sollicitée par les plus grandes maisons. Qu’il s’agisse de créations comme Le Monstre du Labyrinthe ou de classiques comme La Damnation de Faust ou Nabucco, elle a à cœur de faire entendre les résonances des œuvres avec l’époque contemporaine : « Mon travail actualise ou revisite un matériau qui me précède ; je dois prendre position par rapport à mon époque, offrir une lecture nouvelle pour des spectateurs actuels. Bien plus que le livret, c’est la musique qui me porte et me raconte quelque chose sur le présent. Si une musique éveille mes intuitions et me parle de la réalité d’aujourd’hui, il me devient possible de retrouver dans le livret, de façon sous-jacente, un écho de notre société. Quand bien même le travail scénique demeure concentré sur l’objet musical qu’est la partition, il nous reste finalement une liberté immense. »


Quand le parcours de migrantes devient un conte musical

Que peut donc raconter la 7e Symphonie sur notre époque troublée ? « Marie-Ève Signeyrole s’est tout de suite emparée de la thématique de la migration, avec cette musique de Beethoven qui symbolise pour une part un idéal européen, se souvient Chrysoline Dupont. À travers cette symphonie, elle a choisi de raconter le parcours de femmes qui quittent leurs pays d’origine – en Afrique subsaharienne, en Asie ou au Moyen-Orient – pour rejoindre l’Europe. Ces femmes sont souvent violées par les passeurs ou, pour éviter d’être violées, sont enceintes lorsqu’elles entreprennent de traverser la Méditerranée. Marie-Ève Signeyrole a été frappée par leurs destins. Elle a réuni leurs histoires et les a retravaillées pour donner naissance à une forme de conte moderne. Il ne s’agit pas de fiction documentaire ou d’un projet politique mais d’un objet symphonique inédit, qui poétise les faits pour rejoindre le domaine du conte. »

Un conte qui sera servi par la force de plusieurs disciplines : le texte, la danse, la vidéo… Deux comédiennes-performeuses dialogueront sur scène, chacune incarnant un destin différent : un destin européen et un destin exilé ou migrant. Un travail de scénographie et de vidéo – avec notamment un vidéaste qui filmera en direct sur le plateau – complétera le dispositif. L’idée de la barrière sera reprise sur scène et rappellera la notion de la frontière : qu’est-ce que la franchir ? ne pas la franchir ? L’accueil ou le refus, la main tendue ou pas… Toutes ces thématiques sont explorées dans le spectacle.

Pour que la magie opère et que Beethoven franchisse lui aussi de nouvelles frontières, restait aussi à créer une rencontre musicale. C’est là qu’interviendra le clarinettiste virtuose et inspiré Yom, qui dialoguera avec l’orchestre sur des motifs beethovéniens. En s’inspirant des motifs mélodiques de la 7e Symphonie, il a composé une partition originale. Des motifs qu’il va autant intégrer que déformer, réorienter vers son propre univers esthétique. Il y aura des chevauchements et des points de rencontre, par exemple des notes tenues après ou avant un mouvement sur lesquelles il pourra improviser, pour ramener à Beethoven. La rencontre est donc doublement déployée : au niveau musical et au niveau scénique.


Une ambition commune : la création d’un pur objet symphonique

Marie-Ève Signeyrole travaille habituellement beaucoup pour l’opéra. Se confronter à l’espace de l’auditorium, avec des contraintes techniques et scéniques fortes mais aussi stimulantes, l’intéressait particulièrement dans ce projet : pas de fosse d’orchestre, des temps de répétitions plus courts que ceux permis par l’opéra et le théâtre. Ces contraintes semblent imposer des limites, mais permettent la création d’un pur objet symphonique. Pour donner naissance à Baby Doll, cinq prestigieuses maisons se sont réunies, fédérant avec enthousiasme leurs ressources et leurs énergies pour que ce projet hors normes puisse voir le jour. « Seuls, nous n’aurions pas été en mesure de porter un projet de cette envergure, qui est finalement celle d’une petite production d’opéra ou d’une très grosse création de théâtre musical », précise Chrysoline Dupont. La Philharmonie de Paris, l’Arsenal de Metz, l’Auditorium de Lyon, le Corum de Montpellier, la Fondation Gulbenkian à Lisbonne et l’Opéra de Rouen Normandie : six lieux très différents se sont unis pour faire advenir ce projet. Toutes ces institutions coproductrices qui accueilleront le spectacle se sont investies dans sa création et accompagnent le projet.

« Prophéties effroyables, vous êtes devenues terrestres, et vous avez été sauvées par la poésie », écrivait Beethoven dans ses Carnets intimes. Sa 7e Symphonie peut-elle devenir demain le porte-voix et l’étendard d’Aya, de Zebida, d’Asma et de ces milliers de femmes syriennes, soudanaises ou afghanes, errant, persécutées, d’une frontière à l’autre ? « Nous avons conscience que c’est assez iconoclaste, mais notre objectif est aussi de montrer comment Beethoven peut résonner aujourd’hui et comment un artiste venu d’un univers totalement différent peut s’approprier ce répertoire. Nous souhaitons que ce projet parle à tous, qu’il ait du sens aussi bien pour un public de mélomanes que de néophytes. L’idée est de penser le concert autrement, de convoquer des artistes qui renouvellent la lecture d’œuvres que nous avons l’habitude d’écouter sans propositions scéniques ou plastiques. Avec un musicien comme Yom et des danseuses, en nous ouvrant à la vidéo et à la singularité du regard de Marie-Ève Signeyrole, nous avons la volonté de décloisonner le genre du concert, d’ouvrir la musique classique à des aventures artistiques inédites, conclut Chrysoline Dupont. Bien sûr, nous sommes conscients de prendre un grand risque. Mais sans risque, pas de création. »

Lola Gruber

BABY DOLL
Vendredi 13 mars – Cité musicale, Metz
Mercredi 18 mars, 20 h 30 – Cité de la musique, Paris
Vendredi 27 et samedi 28 mars – Orchestre national de Lyon, Auditorium de Lyon
Vendredi 24 et samedi 25 avril – Opéra-Orchestre national Montpellier, Montpellier
Vendredi 11 et samedi 12 décembre – Théâtre des Arts, Opéra de Rouen Normandie, Rouen