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Reportages

TON KOOPMAN - Portrait

31 octobre 2025

Ton Koopman, le marchand de bonheur

La joie et le cœur, la précision et la rigueur : voilà sans aucun doute quelques mots qui cernent en partie la personnalité de Ton Koopman. Chef, organiste, claveciniste, musicologue, il retrouve cette saison l’Orchestre de chambre de Paris dans un programme alléchant mêlant Bach, Haydn et Mozart. Une nouvelle halte parisienne pour ce musicien infatigable, francophile passionné et précurseur de l’interprétation historiquement informée.

Tout commence à Zwolle, aux Pays-Bas, où le jeune Ton, à dix ans, grimpe sur le banc de l’orgue de l’église de sa ville. Trop petit pour atteindre le pédalier, il joue du bout des pieds – une image presque fondatrice : Koopman ne cesse depuis de contourner les limites pour mieux servir la musique. Très tôt fasciné par les instruments anciens, il se forme au Conservatoire d’Amsterdam auprès de Gustav Leonhardt, pionnier du clavecin baroque. Autour de cette grande figure, on croise déjà une poignée de passionnés : Nikolaus Harnoncourt, Jordi Savall, Philippe Herreweghe, René Jacobs… Ces jeunes rebelles jouent, cherchent, fouillent pour retrouver les vibrations d’un son authentique, à une époque où l’on joue Bach au piano et sur instruments modernes.

Pour Koopman, la musique baroque n’est pas un musée, elle est vivante.

À 25 ans, il fonde son premier ensemble, Musica Antiqua Amsterdam. En 1973, avec cet ensemble et le Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe, il est le premier à interpréter la Passion selon saint Jean de Jean-Sébastien Bach sur instruments d’époque, après Nikolaus Harnoncourt.

Dix ans plus tard, il crée l’Amsterdam Baroque Orchestra, bientôt complété par son Chœur. De là, tout s’enchaîne : concerts, disques, découvertes, reconstructions. Car Koopman est aussi un chercheur. Il passe ses nuits dans sa bibliothèque, feuillette des milliers d’ouvrages. Il collectionne plus de 45 000 livres de musicologie, des traités, des partitions, des manuscrits. Il cherche, compare, contredit. Rien ne l’agace plus qu’une vision dogmatique ou figée. Pour lui, jouer Bach – comme n’importe quelle musique d’ailleurs – c’est interroger sans cesse le pourquoi du comment : pourquoi tel enchaînement, telle harmonie, telle articulation, tel instrument ?

Aujourd’hui une partie de sa collection est disponible à l’Institut Orpheus de Gand, en Belgique. Dans un souci de transmission aux artistes de son temps mais aussi aux générations futures, la bibliothèque Koopman est accessible, notamment aux musiciens, musicologues et chercheurs.

Son Everest reste Bach.

Il connaît chaque note, chaque fugue, chaque cantate. À la fin des années 90, il se lance un défi fou : enregistrer l’intégrale des cantates sacrées. Plus de 200 œuvres. Dix ans de travail, un label au bord de la faillite en cours de route, qu’importe : il hypothèque sa maison, fonde son propre label – Antoine Marchand, traduction française de son nom – et mène le projet jusqu’au bout. Il en sortira une somme monumentale, à laquelle s’ajoutent l’intégrale des œuvres pour orgue, pour clavecin et bien plus encore. Et comme si cela ne suffisait pas, Koopman entreprend en 2005 l’enregistrement de l’œuvre complète de Dietrich Buxtehude, le « maître de Lübeck », un guide pour Bach qui parcourut 400 kilomètres afin de l’entendre et de jouer avec lui. Trente disques plus tard, Buxtehude renaît, et Koopman lui offre une place à la hauteur de son influence.

Et pourtant Mozart a lutté. À l’origine, il n’aimait pas la musique de Bach. Mais à un moment donné, il a trouvé une vérité dans la musique de Bach.

Mais Ton Koopman n’est pas un gardien de temple. Son répertoire ne se cantonne pas au baroque. Haydn, Mozart, Beethoven : son orchestre baroque joue aussi sur instruments d’époque ces classiques « modernes ». Ton Koopman est appelé pour transmettre son savoir sur l’histoire de l’interprétation à de nombreux ensembles, notamment certains habitués à jouer sur instruments modernes. « Pour tous les orchestres modernes c’est important d’arriver dans la sonorité et dans l’esprit du xviiie siècle. On a besoin d’une volonté de l’orchestre et d’être capable d’être ouvert, disponible et de suivre mon idée, pour créer de nouvelles sonorités. Mais attention, on peut parler avec moi, entre les répétitions. Je n’aime pas dire “c’est comme ça”, j’aime convaincre les musiciens par la musique. »

C’est notamment à cet endroit que la collaboration avec l’Orchestre de chambre de Paris, qu’il a déjà dirigé en 2024, lui semble très intéressante.

 L’Orchestre de chambre de Paris est un orchestre ouvert, plein d’énergie, avec une grande volonté d’essayer de faire les choses que je trouve importantes pour la musique du XVIIIème siècle.

Le chef n’a jamais hésité à diriger de grandes phalanges à travers le monde, du Royal Concertgebouw d’Amsterdam au Philharmonique de Berlin en passant par le Boston Symphony ou le Philharmonique de Radio France. Koopman dirige comme il respire : en dansant. « Jouer avec le cœur », dit-il. Pas de chef tout-puissant, mais un passeur.

Certes, la musique baroque n’est jamais loin, mais il pousse son répertoire et ses interprétations jusqu’aux compositeurs du xixe siècle, comme Schubert, Mendelssohn ou Beethoven.

Et à chaque fois, sur le podium, on retrouve cette silhouette bondissante, ce geste précis et le regard pétillant d’un jeune homme aujourd’hui âgé de 80 ans !

Francophile amoureux des vieilles pierres, il a même trouvé refuge en Dordogne, sa « région d’adoption ». En 2002, il fonde l’Itinéraire Baroque en Périgord vert, festival où se croisent jeunes talents et vieux compagnons de route. On y entend du Bach bien sûr, mais aussi des découvertes, de petites cantates perdues dans une église romane, ou des clavecins dialoguant avec la nature. Parce que Ton Koopman est un homme de transmission. Pédagogue recherché, professeur, il forme depuis des décennies des générations de musiciennes et de musiciens, qui feront vivre et évoluer à leur tour ce que l’on appelle la musique historiquement informée.

Pas question pour lui de s’arrêter.

Ton Koopman continue de faire résonner ses compositeurs favoris, de dépoussiérer des manuscrits, d’enchanter le public. Ce nouveau concert avec l’Orchestre de chambre de Paris est une opportunité pour le public du Théâtre du Châtelet d’entendre une fois encore son interprétation de Bach, mais aussi l’influence du Cantor de Leipzig sur la musique de Haydn et celle de Mozart : « Dans la Jupiter de Mozart, dans le dernier mouvement, avec tout le contrepoint, il y a Bach. Et pourtant Mozart a lutté. À l’origine, il n’aimait pas la musique de Bach. Mais à un moment donné, il a trouvé une vérité dans la musique de Bach. Et il a créé un chef d’œuvre ! »

« Bach est pour moi un ami. Il ne me quitte jamais », confiait-il un jour. Et c’est peut-être là, au fond, l’esprit Koopman : un homme qui nous invite à entrer dans la musique comme on entre dans une conversation intime, entre amis.

Nicolas Lafitte


Ton Koopman dirigera l’orchestre le lundi 24 novembre à 20h au Théâtre du Châtelet

Programme : Bach / Haydn / Mozart