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PORTRAITS | Tanja et Christian Tetzlaff, l'esprit de famille

Tiré de notre magazine de mars 2023, un article consacré à Tanja et Christian Tetzlaff, qui seront à l'affiche du Festival Brahms, du 12 au 16 mai.

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Tanja et Christian Tetzlaff croisent souvent leurs prénoms sur la scène de concert comme en enregistrement. Certes, ils sont frère et sœur, le premier né en 1966, la seconde en 1973, et la musique innerve depuis toujours leur éducation et leur culture familiale. La partager prit cependant un autre sens dans leur vie d’adulte, alors qu’ils développèrent chacun des carrières individuelles et que leur fratrie s’élargit d’un cadet d’adoption, le pianiste et chef Lars Vogt.
>> lire le magazine « Ensemble ! » de mars 2023.

Artistes associés à l’Orchestre de chambre de Paris pour la saison 2022-2023, la violoncelliste et le violoniste allemands sont, au printemps prochain, les partenaires des musiciens de l’orchestre pour plusieurs concerts et un Festival Brahms, leur compositeur de prédilection. 

«Christian et moi entendons et ressentons la musique de façon similaire, remarque Tanja Tetzlaff. Ce phrasé que nous partageons provient évidemment du contexte dans lequel nous avons grandi, à écouter la même musique et les mêmes enregistrements, à faire de la musique de chambre ensemble. Cependant, c’est au fil de notre cheminement conjoint, en quatuor ou en trio avec notre regretté Lars, que nous avons développé ce langage commun qui nous lie de manière à la fois très forte et naturelle: lorsque nous jouons ensemble, nous traversons tout un panel d’émotions et d’histoires, comme deux amis marchant main dans la main à travers des paysages de joie, de tristesse, de colère, d’excitation et d’amour. (1)»

Une enfance baignée de musique et de chant

Cette intime compréhension musicale partagée entre frère et sœur s’est donc construite dans le temps, dès lors que l’un et l’autre ont mûri leurs apprentissages et tiré hors de l’enfance leur relation fraternelle. La différence d’âge ne les prédisposait pas à jouer ensemble dès leurs plus jeunes années: l’aîné, qui commence conjointement le piano et le violon à l’âge de six ans, fait partie d’orchestres de jeunes dès l’âge de neuf ans – ce qui aiguisera en lui ce fort sentiment de communauté et l’amour du répertoire symphonique (2). Ses héros sont les compositeurs (3), et, à onze ans, il sent et sait qu’il deviendra soliste. Sa cadette, admirative et impatiente, reçoit comme des cadeaux les moments où il s’entraîne avec elle ou lui apporte ses conseils. «La première fois que nous avons vraiment joué ensemble, c’était à l’église, avec nos autres frère et sœur flûtiste et pianiste, se souvient Tanja. C’est une très bonne expérience pour apprendre à phraser ensemble.»

Nés d’un père pasteur, mélomane et choriste comme leur mère, Tanja et Christian sont deux des quatre enfants de la fratrie, tous musiciens. Leur quotidien est rythmé par la musique et les répétitions de la chorale parentale, mais l’on n’y encourage pas la performance à outrance. «Nous avons toujours été très soutenus par nos parents dans notre pratique et nos choix musicaux sans que l’équilibre avec notre vie soit rompu, précise Tanja. Nous avons eu une enfance tout à fait normale et saine.» Christian dira toujours ne s’être jamais acharné sur son instrument durant des heures avant l’adolescence.

 

Des formations d’excellence

De cette éducation sereine marquée par le répertoire choral sacré, Tanja garde l’amour du chant, qu’elle cherche à débusquer au détour de chaque phrase de son violoncelle. De 1985 à 1991, elle étudie avec Bernhard Gmelin à la Hochschule für Musik und Theater de sa ville natale, avant de poursuivre sa formation au Mozarteum de Salzbourg avec Heinrich Schiff jusqu’en 1996. «Il m’a tant appris sur l’instrument, la musique et la vie!», s’émerveille la violoncelliste. En 1994, elle remporte le troisième prix du Concours international de l’ARD de Munich. Cette même année, elle et son frère constituent, avec la violoniste Elisabeth Kufferath et l’altiste Hanna Weinmeister, le quatuor qui porte leur nom. Il ne s’agit pas de fonder une entreprise familiale mais de toucher au plus près un répertoire qui les émeut profondément grâce à un travail «épanouissant et dense» avec des personnes qui leur sont proches. L’esprit de famille au sens large, et déjà ce talent à créer, par la musique, des liens forts et durables…

Christian, de son côté, a étudié au Conservatoire de Lübeck auprès d’Uwe-Martin Haiberg avant d’aller se perfectionner, en 1985-1986, à l’université de Cincinnati, aux États-Unis, avec Walter Levin. Il fréquente le Festival de Marlboro durant deux étés, et fait ses débuts dans le concerto de Schoenberg en 1988, au Festival de Berlin, avec l’Orchestre philharmonique de Munich et Sergiu Celibidache. Un concert donné dans la foulée avec l’Orchestre de Cleveland sous la direction de Christoph von Dohnányi achève de lancer sa carrière.

Donner sens et cohérence à la musique

En dépit du succès fulgurant qu’il rencontre et de l’admiration unanime que lui valent son jeu lumineux et son goût sûr – il est élu instrumentiste de l’année 2005 par la revue Musical America –, Christian reste l’un des violonistes de la scène internationale les plus discrets, hermétique au star system comme aux tentatives marketing de récupération de son image, contradictoires selon lui avec l’essence même de la musique classique (4). À l’écoute du public comme le public l’est de lui, il reste convaincu des bienfaits de l’expérience collective du concert, sans jamais rogner sur ses exigences artistiques ou sa liberté.

Seul compte de donner sens et cohérence aux partitions dont il se saisit presque comme un traducteur littéraire, plus que comme un interprète, tant il tient à rester au plus près du texte pour approcher le cœur et les émotions du compositeur. Passionné – il a joué plus de trois cent cinquante fois le concerto de Beethoven, enregistré trois fois les Sonates et partitas de Bach –, mais jamais excessif. Tanja partage dans le même esprit ses collaborations entre le répertoire concertant, pratiqué avec les grands orchestres d’Europe, des États-Unis et du Japon, et la musique de chambre.

Dialoguer avec Brahms d’âme à âme

Dans cette confiance mutuelle inconditionnelle comme dans la relation unique que Tanja et Christian vivaient avec Lars Vogt depuis leur rencontre il y a vingt-six ans, Brahms tient une place de choix aux côtés de Schubert, Beethoven ou Dvořák, pour dialoguer d’âme à âme. Certes, le frère et la sœur partagent la même ville natale que le compositeur, Hambourg ; certes, Christian remporte en 2000 le prix Brahms qui récompense des artistes valorisant de façon exceptionnelle le patrimoine artistique du compositeur. Mais surtout, «avec Brahms, notre âme plonge littéralement dans la beauté et la profondeur, confie Tanja. Je ne saurais dire d’où nous vient cette proximité avec sa musique, mais, des sonates aux symphonies en passant par la musique de chambre, c’est la musique dans laquelle je me sens le mieux».

Et Christian de renchérir: «La musique de chambre de Brahms est à la fois un laboratoire scientifique de composition, un jaillissement spontané de mélodies, un traité de polyphonie et un journal intime (5).» «En jouant Brahms, j’ai l’impression de comprendre ce qu’il me dit, dans chaque phrase et chaque note (6).»

Claire Boisteau


(1) Toutes les citations de Tanja Tetzlaff sont tirées d’une interview réalisée par nos soins en octobre 2022.

(2) Interview de Tobias Fisher, Tokafi, 2012.

(3) Interview de Kim Woo-Hyun, The Korea Herald, 3 janvier 2019.

(4) Interview de Tobias Fisher, Tokafi, 2012.

(5) Cité par Aurélie Moreau, émission Le Van Beethoven, France Musique, 23 mars 2022.

(6) Interview de Hartmut Welscher, Van Magazine, 15 janvier 2016.